Ægri somnia
PROLOGUE
dicté devant la Brèche de Roland
Seigneur, Seigneur mon Dieu, prenez pitié de nous,
Car vous êtes celui qu'on adore à genoux,
Et pour qui tout cèdre est brin d'herbe ;
Celui que le glacier tout bas nomme à l'aiglon ;
Celui dont l'autel pur fume au fond du vallon,
Comme au sommet du mont superbe.
Moi, qui suis si petit auprès de vous, GÉANT,
J'ai, devant vos splendeurs, admiré mon néant,
Et dit (car je cherche la cause) :
Si l'Être doux et fort qui fit le Mont-Perdu,
M'a dans la vie aride un moment suspendu,
C'est pour y faire quelque chose !
Je n'irai pas la nuit comme fait le chacal ;
Je ne ramperai pas dans les sentiers du mal,
Comme fait l'adroite couleuvre ;
Je ne pillerai pas comme font les vautours ;
Non. Je chanterai Dieu sur le sommet des tours.
J'accomplirai toute mon œuvre.
Le souffle du Dieu fort remplira mon clairon.
Mon vers châtiera ceux qui courbent leur dos rond
Devant les rois et les infâmes.
Je triompherai, seul, de tous ces triomphants.
Mais je resterai doux pour les petits enfants,
Et tendre pour les faibles femmes !
Et quand j'eus dit cela, l'abîme noir et sourd
Qui vit passer jadis le Kalife Almansour,
Quand il poursuivait Charlemagne,
Fit un signe de tête aux pics de Marboré,
Et leur dit : « Écoutez. Cet homme est inspiré,
« Et l'esprit de Dieu l'accompagne ! »
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