« Je n'aime pas un homme que je ne puis aborder le
premier, ni saluer avant qu'il me salue, sans m'avilir
à ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu'il
a de lui-même. Montaigne dirait : Je veux avoir mes
coudées franches, et estre courtois et affable à mon
point, sans remords ne consequence. Je ne puis du tout
estriver contre mon penchant, et aller au rebours
de mon naturel, qui m'emmeine vers celuy que je trouve
à ma rencontre. Quand il m'est égal, et qu'il ne m'est
point ennemy, j'anticipe sur son accueil, je le questionne
sur sa disposition et santé, je luy fais offre de mes
offices sans tant marchander sur le plus ou sur le moins,
ne estre, comme disent aucuns, sur le qui vive. Celuy-là
me deplaist, qui par la connoissance que j'ay de ses
coutumes et façons d'agir, me tire de cette liberté
et franchise. Comment me ressouvenir tout à propos,
et d'aussi loin que je vois cet homme, d'emprunter une
contenance grave et importante, et qui l'avertisse que
je crois le valoir bien et au delà ? pour cela de me
ramentevoir de mes bonnes qualitez et conditions, et
des siennes mauvaises, puis en faire la comparaison.
C'est trop de travail pour moy, et ne suis du tout capable
de si roide et si subite attention ; et quand bien elle
m'auroit succedé une première fois, je ne laisserois
de flechir et me dementir à une seconde tâche : je ne
puis me forcer et contraindre pour quelconque à estre
fier. »
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