L'Education ornementale

 

 

 

 

Pastiche de Gustave Flaubert

 

 De Gustave Flaubert, et de Madame Bovary en particulier, on s’est efforcé de retrouver les idiosyncrasies stylistiques, du reste parfaitement mises en évidence dans un article de Marcel Proust (À propos du « style » de Flaubert, NRF, 1er janvier 1920, reproduit dans Journées de lecture, collection 10/18) et par lui illustrées dans son fameux pastiche L’  « Affaire Lemoine », par Gustave Flaubert, qui fait partie du recueil Pastiches et mélanges publié en 1919, et aujourd’hui dans la collection "L’imaginaire" chez Gallimard.

On retrouve la succession des styles direct, indirect et indirect libre, comme dans le dialogue entre Emma et Lheureux (Madame Bovary, 3e partie, chapitre VI, pp. 398-399 dans la collection "Folio"), et comme dans le pastiche de Proust (au sujet des quartiers d’orange).

Quand il est utilisé dans un dialogue, le style indirect libre introduit plus de variété dans le discours, en même temps qu’il jette un doute : la parole rapportée au style indirect libre a-t-elle été prononcée ou seulement pensée ?

En dehors des dialogues, le style indirect libre est celui du monologue intérieur, qui nous fait accéder aux pensées des personnages, tout en les faisant rapporter par un narrateur qui ne peut être dupe des illusions, de la naïveté ou de la mauvaise foi traversant le monologue. La confrontation des pensées des personnages et du point de vue du narrateur contredit souvent ironiquement le contenu du discours rapporté (exemple saisissant à la fin du chapitre VII, dans Madame Bovary, 3e partie) ou, à tout le moins, l’enrichit en le présentant tout à la fois du dedans et du dehors. L’emploi du style indirect libre est caractéristique du style de Flaubert (cent cinquante passages au style indirect libre dans Madame Bovary).

Flaubert fait alterner le passé simple et l’imparfait, le temps du point de vue externe et celui du point de vue interne, du point de vue de l’un des personnages, fréquemment rapporté au style indirect libre. L’imparfait est le temps de l’intériorité, du monologue intérieur, du rêve inexprimé, de la vie intérieure des personnages, qui se confond parfois presque au reste du récit, à moins qu’il ne soit souligné par l’emploi de l’italique (cent expressions ou mots en italique dans Madame Bovary). Notons que, dans une même scène, le foyer de perception peut se déplacer d’un personnage à un autre, comme dans des mouvements de caméra (voir l’enterrement d’Emma).

Flaubert fait voir un même lieu par les yeux de plusieurs personnages (Yonville, la gare Saint-Lazare pour nous), ce qui, non seulement enrichit la perception du lieu, mais également celle de la psychologie des personnages.

On a repris l’emploi particulier du « et » chez Flaubert, rarement utilisé à la fin des énumérations, mais souvent utilisé pour marquer une pause dans la phrase et commencer un nouveau tableau, une phrase secondaire débutant parfois par un participe présent lorsque débute une nouvelle action.

On notera l’emplacement des adverbes « toujours placés dans Flaubert de la façon à la fois la plus laide, la plus inattendue, la plus lourde, comme pour maçonner ces phrases compactes, boucher les moindres trous » (Proust, À propos du « style » de Flaubert, p. 123). On trouve ainsi des adverbes terminant une phrase, une période, voire un livre (Hérodias).

On a des phrases courtes et des membres de phrase juxtaposés sans conjonction de coordination ni liens de subordination (figure de rhétorique appelée « parataxe »).

On a aussi fait allusion, pêle-mêle, au goût de Flaubert pour les jeux de lumière sur les personnages et les objets, à son ironie cruelle envers certains de ses personnages — ironie des mots ou des situations —, au mépris d’Emma pour Charles, à la rêverie d'Emma perdue par les romans romantiques comme Don Quichotte par les romans de chevalerie, au perroquet Loulou de la servante Félicité dans Un cœur simple, à la casquette de Charles, à son air de bœuf, au « charbovari » du début du roman, et même … au Salon de l'Agriculture.

 

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