Agitato Atrabile

 

 

 

 

Pastiche de Marguerite Duras

 

 Nous nous sommes efforcés de donner un aperçu de l’art de Marguerite Duras, par quelques allusions à deux de ses textes les plus connus : Hiroshima mon amour (1959) et L’Amant (1984).

 

Or, si quelques traits caractéristiques de son style sont plus aisément pastichables :

- l’usage des temps, avec l’imparfait et le futur d’anticipation qui saisissent l’histoire de l’intérieur (« il pensera »), contrairement au présent qui est neutre et distancié, et qui, à côté de sa fonction traditionnelle de présent de l’énonciation (quand l’action se déroule au moment où on la raconte), de présent d’itération (quand on raconte une fois ce qui a eu lieu plusieurs fois), est parfois chez Marguerite Duras un temps, soit détaché de la chronologie, sans origine ni fin, un plan fixe (« C’est le passage d’un bac sur le Mékong » L’Amant p. 11), soit rétrospectif ( « La jeune fille pensait qu’elle venait de voir la nuit la nuit la plus calme qui serait jamais survenue dans l’océan Indien. Elle croit que c’est pendant cette nuit-là aussi qu’elle a vu arriver sur le pont son jeune frère avec une femme »). Cet emploi du présent mêle admirablement les méandres de la mémoire au fil du temps qui passe. Dans le passage suivant, on retrouve présent d’énonciation, de rétrospection, puis d’itération : « Je sais [énonciation] que le frère aîné est rivé à la porte, il écoute, il sait ce que fait ma mère […] Nous sommes [rétrospection] encore très petits. Régulièrement des batailles éclatent [itération ] entre mes frères… » L’Amant p. 74

- la juxtaposition de phrases courtes sans subordination, variations mélodiques autour de quelques mots, de quelques sonorités (« Elle ne sait pas qu’elle est très belle, Hélène L. […] Elle. Hélène L. Hélène Lagonelle… » L’Amant p. 90 « Le petit, lui, il regarde le Chinois. Les yeux baissés, il le voit encore. Oui. Lui. »), procédé poussé jusqu’à l’ironie par le pasticheur (« les souliers qui re-lui-sent »)

- l’alternance des styles direct et indirect (« Il pensera cette pensée si pure, que lui il pourrait se pousser. Il pensera : je vous regarde, Monsieur… »)

- l’alternance de la première et de la troisième personne du singulier (« … qu’il me dise ça, qu’il dise ça au petit… » « ma mère, la mère »)

- la redondance du pronom personnel (« l’autre, il hésite et puis il le dit… »)

- la suppression de la ponctuation (« Ma mère mon amour son incroyable dégaine avec ses bas de coton reprisés par Dô » L’Amant p. 31)

- les chiasmes (« Je revois encore le bus qui démarre, et du Chinois il me souvient. »)

- les hyperbates dans des phrases se terminant par un adjectif apposé (« j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté » L’Amant p. 9 « …son chapeau entouré d’un galon tressé au lieu d’un ruban, invraisemblable. »)

- les anacoluthes (« il mange les seins de moi » L’Amant p. 91 « parler du bouton supérieur du pardessus de lui… »)

 

et si quelques allusions ont été faites :

- le petit, le Chinois = la petite de L’Amant, le Chinois

- le heurt sur le pont de la Concorde = la rencontre sur le bac

- le chapeau invraisemblable du jeune homme = celui de la narratrice (chapeau de « clown »)

- les odeurs de diesel arrivant sur le trottoir, celle du goudron chaud… = « des odeurs de caramel arrivent dans la chambre… » L’Amant p. 53

- le « sublime, forcément sublime » très controversé du commentaire de M. Duras sur l'affaire Villemin (« Sublime, forcément sublime, Christine V. », article de Libération, 17 juillet 1985)

- les dialogues de Hiroshima mon amour, parties I (« Je n’ai rien vu. Rien. ») et V (« Toi, tu me tues ! »)

 

d’autres éléments du style sont moins repérables par une technique particulière et, partant, moins imitables :

- une musicalité racinienne avec ses polyptotes (« J’ai eu cette chance d’avoir une mère désespérée d’un désespoir si pur… » L’Amant p. 22)

- de belles métaphores (« La lumière tombait du ciel dans des cataractes de pure transparence, dans des trombes de silence et d’immobilité » L’Amant p. 100).

 

Copyright (c) 2003 Stéphane Tufféry. Tous droits réservés.