Puisque le déferlement du « politiquement correct
» est un mouvement de fond de notre culture de fin de
siècle, en comparaison duquel l’arrivée du « branché
» fait figure de vaguelette, il nous a semblé important
de prendre date dans cette belle aventure de l’esprit,
en rassemblant quelques (déjà) classiques du genre.
Ainsi, l’on retrouvera les plus belles inventions humaines
: le repas diététique (la « nouvelle cuisine », dans
les bons restaurants, signalons-le à l’intention de
nos amis touristes), le covoiturage (l’auto-stop), le
carburant écologique non polluant (celui qui ne supporte
que 70% de taxes, au lieu de 80%), l’espace vert (jardin),
les respectables minorités culturelles (majorité non
cultivée), le non-conventionnel (complètement délirant),
le droit à la différence (droit d’être approuvé béatement
quoi que vous disiez ou fassiez), un peu à côté de la
moyenne (très, mais vraiment très en dessous de la moyenne),
les compétences un peu contrariées (c’est la faute de
la société), l’espace de convivialité (endroit où l’on
rencontre quantité de gens très sympathiques, que l’on
aurait tout de même préféré ne pas rencontrer), le technicien
de conduite (le masculin de la « technicienne de surface
»), le mal-comprenant (celui à qui il faut expliquer
longtemps), le processus relationnel adrénalitique (la
grosse colère), l’espace personnel (1 m2
autour de soi, à ne pas confondre avec le jardin secret,
que l’on n’appellera pas « espace vert secret »), le
stress (la maladie du siècle, comme le spleen au XIXème
siècle), le non-parallélisme d’opinion (même dans un
espace non-euclidien, les protagonistes ne tomberont
jamais d’accord), le convivialement défavorisé (individu
franchement défavorisé, en langue vulgaire), le psychorigide
(coinços, en langue jeune), les fausses réponses à un
vrai problème (très appréciées en politique), les opinions
plurielles (les opinions non-parallèles sont toutes
plurielles, en vertu du principe de géométrie qui veut
que l’on ne puisse être non-parallèles qu’à partir de
deux ; réciproquement, il semble que les opinions plurielles
ne restent jamais longtemps parallèles), la velléité
d’euthanasie active (tentative de meurtre, en moins
salissant), la surcharge pondérale du cerveau (horrible
maladie qui épargne heureusement les mal-comprenants),
les invalides de l’affectivité (brutes épaisses proches
de l’Australopithecus), l’agent commercial (le contrôleur,
dans les transports communs), les commodités de la conversation
(terme politiquement correct remontant au temps de Molière),
la non-victoire (souvenons-nous toujours que « la France
a non-gagné une bataille, elle n’a pas non-gagné la
guerre), etc.
Dans un genre plus classique, le lecteur aura plaisir
à retrouver les contes de fée qui l’ont fait rêver —
ou cauchemarder — dans son enfance, dans une version
enfin expurgée de tous les préjugés les plus odieux
qu’ils véhiculaient. James Finn Garner a accompli cette
tâche de salubrité publique dans son Politically
correct bedtime stories - MacMillan Publishing Company
- 1994 (trad. française : Politiquement correct
- Grasset - 1995).
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